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Alexander Dickow
Dickow

Aux éditions Argol

Caramboles



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Alexander Dickow, né aux Etats Unis en 1979.  Il est poète et traducteur de langue française et anglaise. Il a grandi dans  la petite ville de Moscow, Idaho dans le Nord-Ouest des Etats-Unis. En 1998, il a déménagé à Portland, Oregon, où il a obtenu sa Maîtrise en littérature française à Reed College. Une bourse Fulbright lui a permis de poursuivre ses études à l’Université de Nantes, où il a obtenu un DEA en Lettres Modernes. Après avoir vécu plusieurs années en France, il s’est installé au New Jersey, où il vit actuellement avec son épouse bretonne. Dans le cadre du programme doctoral de Rutgers University, il consacre une thèse à la poésie française du XXe siècle.


http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/pierre-jourde/20090615/13227/caramboles-poetiques 


Caramboles poétiques

Par Pierre Jourde (Écrivain)

La littérature, ça n'est plus ce que c'était, ma pauvre dame, des écrivains, c'est bien simple, on n'en trouve plus, quant au niveau de la création culturelle française, ne m'en parlez pas, allez, les étrangers se moquent de nous.

Ce type de discours chagrin, déplorant la mort de la littérature française, est devenu assez commun. Selon les goûts des pleureuses, elle aurait rendu le dernier soupir avec Proust, avec Céline, ou, pour les plus modernistes, avec Gracq. On tombe là dans une myopie caractéristique du jugement littéraire, qui n'est pas nouvelle : plus on est près du phénomène, moins on est capable de le voir clairement. Dans le passé, le travail de distinction a été fait, nous voyons se détacher derrière nous les grands massifs littéraires, d'ailleurs l'école nous a appris à nous extasier devant leur beauté. Dans le présent, nous n'apercevons guère qu'un chaos informe.

Cette confusion se trouve accrue, depuis un certain temps, par plusieurs phénomènes : l'énorme accroissement de la production, qui noie les tables des libraires et rend d'autant plus difficile pour le lecteur le choix et le jugement ; l'effacement progressif de la notion de valeur, au profit de l'idée selon laquelle tout a plus ou moins son intérêt ; la perte de crédit des instruments traditionnels de jugement, prix littéraires, critique journalistique, qui n'ont pas toujours défendu les meilleurs ; la disparition des écoles et des doctrines, qui aidaient à s'y retrouver, au profit d'un éclatement complet du champ littéraire ; la « pipolisation » croissante de l'écrivain, jointe au panurgisme des médias, qui aboutit à ce que toute la place soit occupée par une poignée d'auteurs censés «faire l'événement», au détriment de la diversité de la production littéraire. Cette confusion généralisée rend d'autant plus indispensable l'affrontement autour de valeurs et de jugements esthétiques, qui peut aider à clarifier la situation. La controverse reste toutefois marginale, sauf sur internet, mais le foisonnement même d'internet en compromet la clarté.

Je suis convaincu, au contraire des pleureuses, que cette époque est l'une des plus fécondes de notre histoire littéraire. Elle l'est par la diversité des genres et des auteurs, par l'inventivité formelle, par le poids de certaines œuvres déterminantes. Sans parler du roman, où abondent les auteurs passionnants, dont on ne parle pas forcément beaucoup, la poésie est en plein renouvellement, il suffit pour s'en convaincre de feuilleter l'une des innombrables revues de poésie, ou de consulter des sites comme sitaudis ou libr.critique. Ce foisonnement créateur, qui conduit certains poètes à exploiter les ressources d'autres supports que le papier, n'empêche pas une poésie plus classique de continuer à vivre, et à produire des textes de qualité. Ces romanciers, ces poètes ont besoin qu'on les fasse connaître, que les médias leur accordent un peu de place, les sites internet, Le Matricule des anges ou les revues confidentielles font un gros travail, mais qui ne suffit pas.

Un jeune poète, Alexander Dickow, vient ainsi de publier chez Argol son premier livre, un recueil que je tiens pour l'une des plus belles et des plus originales réussites contemporaines : «Caramboles». Le texte carambole, en effet, deux versions, une anglaise, l'autre française. Les deux jouent de l'impropriété, de la maladresse voulue, qui produit ces effets claudicants, saugrenus, qu'affectionnait et que recommandait Verlaine, sous des formes évidemment très différentes. Cette maladresse même, soigneusement chorégraphiée, donne au texte un côté presque désarmant. Le langage se brise sous l'effet conjugué, semble-t-il, de l'étonnement enfantin devant le monde, et d'une émotivité toujours surveillée par l'ironie, comme chez Laforgue, dont on retrouve d'ailleurs, est-ce un hasard, un  groupe de mots en enjambement qui reproduit un passage de «L'hiver qui vient» :

Autour des sorties les cheminées
D'usine

Cette permanente claudication des mots ne cesse de susciter de réjouissants effets d'insolite, ainsi qu'un discours émis par un digne britannique en état d'ébriété, qui perd le contrôle de son langage, et le contemple comme de loin, éberlué, aller seul son chemin. Ce n'est plus lui qui parle, mais qui ? Cette langue bute, comme nous ne cessons de buter sur la résistance obstinée du monde, elle poursuit pourtant son bavardage, petit mécanisme à émettre des expressions sans importance.

On est toujours, dans ces poèmes, hors du temps exact, de la syntaxe juste, englué dans la circonstance et la circonlocution, c'est-à-dire dans cette marge, cet à-côté de la parole, ces lisières où les choses prennent vie, lorsqu'on ne les considère pas frontalement. Pas de lyrisme ici, pas d'apparente intensité d'expérience ou de sentiment, un univers quotidien, trivial, fait de saisons, d'imperméables, de cartes postales de vacances et de casseroles. Il y a bien un long conte de fées, mais façon problèmes de couple et courrier du cœur. Ce bavardage apparemment anodin, cette façon de ne jamais aller droit est une manière de laisser la réalité s'installer, sans la forcer, par les détours de l'humour et de l'apparente insignifiance.

Le parallèle entre l'anglais et le français montre les deux langues qui travaillent chacune à leur façon : le français plus logiquement et syntaxiquement,   l'anglais plus musicalement, avec même une espèce de surabondance phonique qui évoque parfois les étranges combinaisons d'Edward Lear ou Lewis Carroll. De sorte qu'on ne peut pas lire un des textes comme une traduction de l'autre (Dickow d'ailleurs s'amuse à déjouer les parallélismes, en faisant du prince de la version française un dragon de la version anglaise) : ils fonctionnent l'un par l'autre, l'un avec l'autre, de même que deux instruments qui se répondent.

Cela fait de Caramboles un texte d'une espèce rare : à la fois profondément original et novateur dans sa forme, et relativement simple d'accès, pour peu que l'on n'ait pas de préjugé sur ce que devrait être ou ne pas être la poésie. Mais au lieu de bavarder sur Dickow, mieux vaut lui laisser la parole :

Oh c'est un bien bon canoë
quand le chapeau dort sur la tête
de travers, pêcheur un jour d'or et
calmement au leurre dans l'eau

O c'est un lac bien vite où je
rusé et j'attrape toujours, là
où partent et sont les loins
poissons, un poisson qui s'en va

Oh, it's a fine, slowly canoe
where the hat astray doze on a
fischerman me, one day gold
and with calmly in the water bait
oh it's a sunlit swiftly pond
where I clever always and catch
when a (glib !) away fish can be
and go, a briefly fish that's gone

Prince

Comment ça va, enchanté
à faire la connaissance, s'il te plaît
de vous être assise. Comment
vont votre sœur et est-ce
que son divorce le mari, je
me suis désolé l'avoir entendu.
Quel beau temps fait-il ? J'ai emmené
Une vieille chienne le vétérinaire
[...]

Dragon

How are you do, nice meeting
to you, please and sat down.
how are your sister
and is her divorce
a husband, I'll sorry to heard that
is the weather so nice?
I have took an old dog
To the veterinarian [...]

Et de temps en temps
me trouvant tout une fois
pour grand, le temps
du départ est venu.

Sous les branches
Le soir file au tournant
Tandis qu'à mon tour
Tout sens dessus dessous

Dessus les vagues adieux
Que la mer balance de loin
J'écoule autour d'ici
En bas, tout beau, bateau.

And from time to time
being grown all and once
handsome up, I started
off and on my way
Passing under branches
that roam and evening go,
into and out the turns
all this way and now that
I'm on the dark and old,
the waving seas goodbye,
about around the down
all boat, and big, and by.

P.J.

 

***

http://www.t-pas-net.com/libr-critique/index.php?s=dickow

libr-critique, Fabrice Thumerel

Voici le premier recueil – prometteur ! – d’un jeune poète et traducteur américain qui achève sa thèse sur la poésie française du XXe siècle.

Quatrième de couverture

« Il n’existe pas encore de nom pour désigner ce point limite où le brimbalement le plus farfelu, le plus absurde dandinement devient soudain de la danse. Mais je l’ai cherché dans ce livre, ce point limite. J’ai assailli ma langue étrangère, le français, j’y ai semé les l’on-lit et les qu’on-con, les maladresses, toutes les belles entorses impossibles. Puis j’ai infiltré, sapé, envahi mon autre langue étrangère, l’américain ; je n’ai craint aucun solécisme, j’ai hérissé l’oreille de ma matraque malapropiste, allègrement j’ai fait clopiner la langue anglaise. J’ai tenté en somme de raccorder la langue de travers, comme un lutin de musée qui pencherait les cadres un peu de côté, pour rire. Ça gêne l’œil, l’amateur s’indigne ; on mène la chasse aux injustesses ; on veut rajuster. » A.D.

"Quoi que je pourrais dire
après un tel discours aussi lyrique ?"

Ne nous y trompons pas, vu les références à James Sacré, Philippe Beck et Jean-Claude Pinson – qui a d’ailleurs recensé ce livre sur Sitaudis –, cette interrogation en mauvais français est tout à fait significative : c’est une invitation à couper court avec la "poésie sentimentale et naïve" (essai de J.-C. Pinson)… À l’effusion il faut préférer le silence ou le mal dire, autre façon de "composer à sec" – formule de Pinson qui fait écho au lyrisme sec de Beck. L’auteur de ces Caramboles combine en effet les blancs et cette forme de mécrit qu’est le mal-dit : creusant son rapport d’étrangeté à la langue française, cet Américain de trente ans à peine se retourne contre sa langue natale pour la faire déraper. Cette double distorsion linguistique qui relève de l’ADN (Agencement discursif neutralisant) crée un inter-dit où se croisent, s’abîment et renaissent les deux langues. Par exemple, là où l’une fait entendre sa richesse phonique, l’autre dévoile son ingéniosité parodique :

"a gap in the rustles
which rumple, tall and sway
by the stinging nestles,
you can pick some nosegay
in a patch where the creek
is dabble and nourish,
and hiatus blossoms peek
out themselves and flourish” (14).

 

"le râle des genêts
au beau milieu la brise,
on se trouve un jardin
tout répandu d’exquises
poussées drues de soudains
boutons : dehors à l’eau
un hiatus se montre
à justesse et s’éclôt" (15).

Parfois les deux se font écho dans leurs harmonies respectives : "Clumps of smarmy grackles" (12) / "Des quiscales criards raclent" (13).

Qu’il revête la forme de l’archaïsme, du barbarisme, du solécisme ou de l’embrouillamini, l’interdit libère la langue, faisant notamment éclater la gangue de ce discours contraint par excellence qu’est le discours amoureux : "Des filles comme celle-là, / j’en ai vécu, oui" (49) ; "Puis-je au moins être seul ensemble / juste l’instant rien qu’avec / ta frigide sonnette à la porte" (112). Libérée, la langue – que Dickow fait merdRer en lorgnant plus du côté de Molnàr que de Prigent – retrouve son oralité, redevient sensible et expressive, synesthésique ou synecdochique : "Ça me met / complètement dehors / en moi" (29) ; "nous avons goûté / mille couleurs" (35) ; "J’ai dû beaucoup / de choses à faire" (39) ; "je te serre dans la main" et "un précipice d’érudition, / tout frappé de soucis / aux sourcils" (45) ; "manières rampées" (76) ; "je t’ai touché / de l’œil" (100).

Redevenus babioles, les mots caracolent, carambolent, et de leurs télescopages naissent des crumbles de fariboles qui constituent de baroques coqs-à-l’âne :

"Comment
vont votre soeur et est-ce
que son divorce le mari, je
me suis désolé l’avoir entendu,
quel beau temps fait-il ? J’ai emmené
une vieille chienne le vétérinaire
où elle allait mieux, merci pour
m’avoir demandé. Je sais
ta majesté n’a que quelques
minutes, merci d’être disponible
à toute déclaration et m’accordes-tu
l’entretien. Non, pas de sucre
du café en moi non plus,
merci grâce à toi" (68).

La déconstruction du tout conversationnel fait ici penser aux effets critiques du cut-up. Ailleurs, le discours peut s’empâter et le sens coaguler : celui qui a retenu les leçons des (post)modernes Luca, Tarkos ou Hubaut nous fait alors entendre la difficulté du dire.

 


***


Tristan Hordé 

site www.poezibao.com

 Dans la collection "L’Estran" des éditions Argol, consacrée à la poésie contemporaine, Catherine Flohic affirme nettement ses choix d’éditrice : non pas publier ce qui rencontrerait l’accord général (ce à quoi se limitent trop d’éditeurs de poésie), mais des recueils de découverte toujours enthousiasmants. Après Jude Stéfan (Les Commourants) qui jamais ne se répète, et Philippe Beck (De la Loire), le premier livre d’Alexander Dickow, en anglais et en français, pas tout à fait inconnu pour ceux qui fréquentent le site Sitaudis1.

Caramboles ? Le mot s’emploie encore chez les joueurs de billard pour parler d’une partie où ne comptent comme gain que les carambolages. Transposons : les carambolages sont ici les heurts provoqués dans la langue, ce qui définit jusqu’à un certain point les pratiques d’Alexander Dickow. Le recueil s’ouvre (presque) sagement : page de gauche un texte en vers en anglais, page de droite un huitain en heptasyllabes rimés (abbaccdd), réécriture et non pas traduction du premier, l’un et l’autre avec une référence à Trakl. Poursuivons : page de gauche, un texte en vers en anglais, page de droite seize vers hexasyllabiques en rimes croisées (abab). Ce qui commence à s’enfuir dans ce double poème2, c’est la possibilité d’une lecture pour donner un sens : des images, le jeu des sons, oui, mais une langue qui déraille – modérément pour l’instant : un adjectif (touffue) devient un nom, et les éléments d’une possible description ne peuvent être organisés, comme si l’exubérance du jardin (puisque le motif choisi est un jardin) rendait impossible toute mise en ordre sinon celle des vers comptés et rimés.

Mais dans les poèmes suivants, ça carambole plus vigoureusement. La digue saute pour le vocabulaire (innombrements, décombrements), les verbes changent de construction (nous sommes amenés enfin / de se hisser) et leur conjugaison se défait (je l’étais cherché), les expressions figées se déplacent (au corps et à cri), l’abstrait et le concret s’emmêlent (une mince bévue trouant le rempart). Ce que je relève n’a rien de particulier et pourrait décrire un texte d’Aragon ou de Soupault des années 1920 ? Certes ; ce qui est différent, c’est que le texte de Dickow n’est jamais obscur et qu’il n’est pas question d’images comme les construisaient les surréalistes. Par les minuscules déplacements (une préposition, une construction verbale, une dérivation, etc.), la langue devient seulement un véhicule incommode pour le lecteur, qui s’évertue à échapper au trouble.

On suivra le travail subtil de transformation dans une partie étendue au centre du livre, variation jubilatoire sur l’histoire du prince qui délivre la princesse du dragon, dragon et princesse acceptant un entretien avec le narrateur pour rapporter qui sa vie avec la princesse, qui son sauvetage par le prince et ce qui s’ensuit. Un conte – a tale, anglais et français en miroir, puis A tale – un conte et le récit débute alors en français avec l’anglais page de droite, image inversée du premier ensemble. On trouvera d’autres jeux de miroir dans ce conte, par exemple des fragments repris avec de minuscules modifications, en français et en anglais.

Jeu dans, avec la culture lettrée ? Sans aucun doute et l’on ne s’étonnera pas si l’on accepte de ne pas penser la poésie comme (seule) expression de l’individu. Alors, on prendra plaisir à reconnaître dans la dernière partie du recueil des échos aux deux poèmes "classiques" qui l’ouvrent. L’un de ces échos consiste en une brève variation à partir d’une ballade de Charles d’Orléans dont le second vers est reproduit en italique et l’un des mots du refrain introduit dans le poème :

Je me cheminais fumant le soir
égaré au parc, pendant que
des vols me pigeonnent autour
du bancs, miettes et ravies.

 Un jour m’avint qu’a part moy cheminoye.

Charles d’Orléans (1ère strophe)

 
En la forest d'Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m'avint qu'a par moy cheminoye,
Si rencontray l'Amoureuse Deesse
Qui m'appella, demandant ou j'aloye.
Je respondy que, par Fortune, estoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu'a bon droit appeller me povoye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.3

La reconnaissance des échos oriente la lecture, qu’il est bon alors de recommencer, et donne le plaisir de ne pas toujours s’égarer ; comme l’écrit Alexander Dickow dans l’avant-dernier poème, « Certains / débris le dialogue étaient chaotiquement / en trop de les comprendre ».

À la suite de la récriture de ce poème en anglais, cette annonce en allemand : « Der Vorhang fällt, das Stück ist aus », c’est-à-dire, Le rideau tombe, la pièce est finie, et "Congé"4 peut alors clore le recueil, nouveau retour à la tradition poétique puisque le congé est une pièce de vers née au Moyen Âge – mais la tradition n’a pas été quittée, si l’on pense qu’elle est sans cesse à recréer.


1 Alexander Dickow y a publié des poèmes et y a traduit le poète américain Aaron Belz, dont il est assez proche dans ses recherches. On peut lire aussi des poèmes d’A. Dickow sur ce site.

2 Mes remarques ne porteront que sur le texte en français.

3 Ballade LXIII, dans Charles d’Orléans, Poésies, I, éditées par Pierre Champion, éditions Honoré Champion, 1956, p. 88.

4 Titre commun aux deux versions, congé étant aussi le mot en anglais.

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Urged to define his “bilingual blues,” American-Cuban novelist and poet Gustavo Perez Firmat confided that the feeling of not having one true language has been fertile ground for his poetry and writing[1]. Caramboles, Alexander Dickow’s 2008 poetic suite, seems to stem from the opposite feeling, the pleasure of possessing foreign tongues exclusively. As he warns us in his provocative back cover blurb, in the process of pairing the American English and French versions of his poems, he molested both tongues equally: barbarisms and solecisms abound; dissonances and malapropisms proliferate; and slang and formal diction cohabitate. Anticipating discontent, the poet does not hesitate to give voice to an imagined reader whose horizon of expectations is uncomfortably disturbed by his uncanny syntax and stylistics: “What incommodious goof/and some more lamented/diction of yours make me! Qu’est-ce que suis-je rendu/brinbezingue de je me plains/que les erreurs de ton style !” (24-25)
Yet, for all those transgressions and much more, Caramboles is a most felicitous read.
The collection is composed of a first series of short poems that represents an “Invitation au Voyage,” punctuated by the recurring verse “we had no choice but to continue/ nous n’avions d’autre choix que de poursuivre.”(16-17-18-19) Follow two versions of a tale (II and III), that of a love triangle involving the allegoric figures of the Princess, the Prince and the Dragon, narrated in the form of successive interviews of the husband and the wife, each in turn in the role of the Dragon, while the interviewer/notetaker is none other than the Prince in disguise, as identifiers reveal. The mood of Part IV is that of Ennui and Nonchaloir, a medieval brand of spleen that permeates the poetry of Charles d’Orléans (1394-1465), author of the verse quoted by Alexander Dickow: “Un jour m’avint qu’a par moy cheminoye.” (118) This final series of short yet interrelated poems revolves around the fragility of hope and nature’s correspondence with one’s inner landscape; it evokes also boats, departures and “flabby denouements”. And even when everything has been said --“The curtain fell, the play is over” in Heinrich Heine’s phrase (129) – it is inconclusively so, and the goodbyes are “not for good” (131), though in English only. It may well be that, just like Charles d’Orléans, the poet in Caramboles is “l’homme esgaré qui ne scet où il va/ [this] “errant man who does not know where he is heading,”[2] and whose wandering step will flush more smarmy grackles, caring magpies and talking rainbirds along the way for his readers’ continued enchantment.
A translator and a poet, Alexander Dickow is both an insider and outsider of what Walter Benjamin calls the high forest of language, using its resources for expression, yet standing at its margins, attentive to the many echos and reverberations between the two languages he handles so brilliantly. The poetry in Caramboles (cf. the French carambolage, crash) surges from the clash between these two mandates, these two languages and their various registers. Indeed, while reading the collection, we are reminded of Walt Whitman’s take on the ability of American English to absorb other languages, dialects and slangs: “Profoundly consider’d,” he writes, “[slang] is the lawless germinal element, below all words and sentences and behind all poetry…”[3] Moreover, Dickow’s poetry bridges the existential gap between two dimensions of the individual experience, namely the necessity to preserve an apparent continuity, the desire for the stability of meanings (“Really, I assure you, everything is fine between us. Non, je vous assure, tout va bien entre nous.” 90-91); and the incremental loss of faith in self, others and langage, occasioned by daily misinterpretation (“Sand go among the fingers/for all the time, yes. Pour tous les jours/glisse le sable parmi les doigts, oui.”64-65).
 
Caramboles is an event, and not because poetry is notoriously impossible to translate. Personally pondering this matter, Dickow wrote: “it is legitimate to think that the translator can catch occasionally in another language the pertinent and effective meaning of a sentence. But should this happen, nobody would know.”[4]  In the case of Caramboles, we do know:  the author’s presentation of the French and the English versions of the same poem en vis-à-vis leaves no doubt about his art of chiseling correspondences and affinities across languages in terms of breath, rhythm, rhymes and even calligraphic design.
 
Unmistakably, Caramboles is a superlative example of what Sherry Simon calls “une traduction déviante,” a deviant translation, which she defines as a praxis whose goal is not to exchange or transmit a cultural product, but rather to take advantage of the ambiguous space between translation and writing. A “deviant translation,” she adds, places the translation inside the text itself, creating a hybrid composition that challenges established classifications. We can infer that as such, Caramboles, along with Transfiguration by E. D. Blodgett and Jacques Brault, My Paris by Gail Scott and Ô cher Émile, je t’aime ou, L’heureuse mort d’une Gorgone anglaise racontée par sa fille by Agnès Whitfield, heralds a profound cultural change, one that emphasizes the unpredictibility, incompleteness and creolization of the translation process today. Transfiguration for instance is a suite of “poèmes dialogants”: Blodgett writes a poem in English, which Brault translates into French; in turn, this poem inspires another one in French, which Blodgett translates into English, and so on. In My Paris, Gail Scott inserts in the English text French fragments, separated from their English counterparts by a comma --a tribute to Gertrude Stein and Walter Benjamin. As for Ô cher Émile, je t’aime, Agnès Whitfield presents this collection of poetry as a translation without an original, which makes her the author of a text written in a foreign language.[5]
 
Arguably, these three manners of “deviating translation” coexist in Caramboles. Any notion of an “original text” is, so to speak, lost in translation; pluralized, the poet’s voice summons several systems of referentiality (thus the polysemic nature of the title; the many versions of the same tale; and the quotations in early modern French or in German left untranslated.)  Based on the same concept of an “architecture du double” (architecture of doubling) as My ParisCaramboles relies on the spine of the book, instead of a comma, to visually separate languages that nevertheless keep on tossing and tumbling together on each page, just like Amandine and you (“who you were/ gotten all knotty/into the trouble with. toi qui vous tombais/ensemble dans le désordre.” 30-31) The linguistic tohu-bohu is such indeed that, like Whitfield, Dickow could purportedly lament that his collection “smacks of translation.”
 
As readers soon realize, by triturating a literal translation into English or French to the point of clumsiness, then proceeding in the same way with the other language, and vice-versa, ad infinitum, the poet exposes new ways for each language to signify. New and forceful images emerge out of clichés: “examining/attentively, just previous to my/eye, crouched among the flowers,/a rose and little adorable pink birds touching and miniature/charming prints/of the table cloth. je regarde/attentivement, juste avant/mon oeil, accroupi parmi les fleurs,/un rose mignon oiseau petit touchant et miniature/motif/de la nappe.”(54-55 & 88-89: note variants) Additionally, his use of deponent verbal forms, reinforced by contextual clues, can blur agency (cf. “Sometimes he would be chased/me after all the while to breathing the fire…But I always fight back however/I could able, with a wits alike the muscle! Quelquefois/ nous nous étions poursuivis à tout cracher/ le feu… J’ai toujours résisté de n’importe/quoi je pouvais, par l’esprit et de la force !” 80-81). His use of tenses tends to undo the linearity of time (“I’m sure you’re not remembered/When we’ll first met. Probablement tu ne te souviens pas/la première fois nous nous serons rencontrés.” 114-115).
 
Dickow once wrote that Max Jacob’s writing may seem “strange, uncanny, other,” adding that “one has to learn his language… while renouncing to know it…”[6] Will we then hunt for improprieties in Caramboles, attempting to “readjust” them, or will we learn instead to unlearn the rules of proper and efficient speech, enjoying  the way Alexander Dickow refreshes language? Hopefully we will learn to read for the new creolized millennium, as Caramboles invites us to do, turning our attention to the rich interstices between lines, pages and languages.
 
 
Reviewed by Sylvie Kandé
                                                                          
Author of Lagon, lagunes (Gallimard, 2000) and La quête infinie de l’autre rive (Gallimard, 2011)
Associate Professor SUNY Old Westbury

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Jean-Claude Pinson

Sur www.sitaudis.com

 

Alexander Dickow, jeune poète américain dont c’est le premier livre, propose avec Caramboles un ouvrage singulier. Bilingue, il se compose en effet de poèmes écrits deux fois par le même auteur – une fois en anglais (américain) et une fois en français –, et agencés selon un dispositif en miroir qui aide à déployer tout un jeu de la différence et de la répétition.

On connaît le mot fameux de Proust repris par Deleuze : toute œuvre qui compte donne toujours le sentiment d’avoir été écrite comme dans une langue étrangère. Si l’américain est la langue maternelle de l’auteur et le français sa langue d’adoption, on ne peut pourtant pas dire qu’Alexander Dickow ait simplement traduit ses poèmes en français. À travers le dispositif de mise en regard du texte américain et du texte français, c’est à la collision des deux langues, à leur carambolage, à leur subversion réciproque, que l’auteur s’est employé. Car ce n’est pas seulement le français qui se trouve considéré depuis l’étranger ; c’est la langue maternelle, l’américain, qui se voit soumise elle aussi à une procédure généralisée d’altération : « J’ai assailli ma langue étrangère, le français, j’y ai semé les l’on-lit et les qu’on-con, les maladresses, toutes les entorses impossibles », écrit Alexander Dickow dans le texte de la quatrième de couverture. Mais tout autant, ajoute-t-il, « je n’ai craint aucun solécisme, j’ai hérissé l’oreille de ma matraque malapropiste, allègrement  j’ai fait clopiner la langue anglaise ».

Je ne peux vraiment, faute de compétence, juger de ce qu’il advient de l’anglais, mais il est clair que c’est un français en état de permanente ébriété qui résulte de ce dispositif de carambolage. Ainsi redoublé, élevé à la puissance deux, le procédé d’« étrangisation », d’ ostranénié (comme disaient les poéticiens russes), ne produit pas seulement un brouillage de l’identité (notamment syntaxique) propre à chaque langue. Un espace linguistique nouveau semble ainsi s’ouvrir, espace incertain, improbable, déconcertant, où seul le membre fantôme d’une tierce langue flottant quelque part entre anglais et français offrirait ses appuis.

Plus que toute autre entorse au « bon usage », c’est la dérégulation syntaxique, son usage all over, qui est au principe de cette mécriture revendiquée. Mais si elle produit un sentiment de malaise, celui-ci est cependant joyeux et se retourne en jubilation. Certes, on veut rajuster,     « on mène la chasse aux injustesses », mais en même temps on se réjouit d’être en présence d’une langue qui, « tombant du pic », met dans le mille de la poésie. Car dérangée, dérangeante, la langue y affirme aussi ses trouvailles et bonheurs. Ils ne sont ni tout à fait ceux de la langue enfantine ni ceux d'un étranger balbutiant le français : c’est ailleurs qu’ils déploient la souveraineté d’une « anarchie couronnée » (comme aurait dit Artaud) d’une langue, ou de deux plutôt, comme refaites à neuf.

Paradoxalement, bien qu’il soit intrinsèquement lui aussi perturbateur de syntaxe, c’est le vers qui, dans ces poèmes, permet de « rajuster », « racheter », les entorses syntaxiques. Puissante machine à rémunérer, « philosophiquement », le « défaut des langues », comme disait Mallarmé, il agit ici comme facteur de jaillissement, d’accélération, de virage, de découpe. Il aide l’écriture du poème à sans cesse bifurquer, à s’arracher, par la contre-syntaxe qu’il produit, à l’embourbement dans le seul jeu de la mécriture.

C’est particulièrement sensible, me semble-t-il, dans le long poème narratif redoublé (« Un conte, a tale/ A tale, un conte ») qui constitue le cœur du livre. Parce qu’il coupe court au récit, ne laisse jaillir que des traits narratifs discontinus, le vers y aiguise, au plus fort de la perturbation de l’écriture, le désir de lecture. Car ce dont le fantasme aime à se nourrir, comme le rappelait Barthes, c’est d’abord des « lueurs » d’un « scénario éclaté, toujours très bref ». Et rien de mieux sans doute que le vers pour abréger un récit, le trouer d’ellipses, et, ainsi découpé, mieux en faire scintiller les éclats.

Un air de fête flotte sur ces poèmes. – Et même de fête foraine, le titre invitant à penser aux collisions joyeuses d’un manège d’auto-tamponneuses. Mais, thème éminemment léopardien, la fête est toujours à distance, comme si sa réalité n’était avérée qu’en ses lointains flonflons, qu’en son écume de paroles et de mots. C’est pourquoi, s’il y a dans Caramboles un parfum de possible idylle, de plaisir aux flonflons et couacs du langage, c’est sans méconnaissance de notre condition d’êtres séparés de l’Ouvert, d‘êtres « partants » (comme dit Christian Prigent) : « Pour tous les jours/glisse le sable parmi les doigts, oui ».















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