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Sereine Berlottier
Berlottier

Aux éditions Argol

Attente, partition
Louis sous la terre

Née en 1971, Sereine Berlottier a publié Attente, partition (Argol, 2011), Chao Praya, (Apogée, 2007), Nu précipité dans le vide (Fayard, 2006), ainsi que dans différentes revues (Perpendiculaire, Gare Maritime, Nouveau Recueil, Po&sie, Action poétique, N4728, Rehauts…). Elle est membre du comité de rédaction du site littéraire Remue.net. 

En 2014 elle a mené une résidence d’auteur en partenariat avec la Scène du Balcon, dans le cadre des résidences d’écrivain du conseil régional Ile-de-France, résidence intitulée « journal du poème, poème du journal, une exploration ».




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Nu précipité dans le vide, éditions Fayard, 2006

 Chao Praya, éditions Apogée, collection la Rivière échappée, 2007

 Ferroviaires, Publie.net, 2008

 Décrochage, Publie.net, 2009



 

Attente, partition, de Sereine Berlottier (par Antoine Emaz)

sur POEZIBAO

 

Ferroviaires (éd. Publie.net, 2007) signalait déjà une écriture singulière construite à partir de l’alternance entre la vie d’une personne en fin de contrat pour la construction d’un centre commercial, et les gens que cette personne voit tous les jours dans le train de banlieue qui la mène au travail. La description était d’une netteté froide, même si l’attention de l’œil indiquait une certaine sympathie, et l’évocation du personnage en fin de contrat était toute en retenue, écart, refus de la tartine psychologique. 
Avec Attente, partition, Sereine Berlottier accroît la difficulté puisqu’elle passe du social à l’intime ; tout se joue à l’intérieur d’un couple, et du corps. C’est ici que le dispositif d’écriture joue pleinement son rôle. Au lieu d’utiliser le mode du récit, qui aurait fait pencher le livre vers la sempiternelle analyse des problèmes de couple, même s’ils peuvent avoir leur pathétique vrai, l’auteure choisit une forme informe, c’est-à-dire capable d’intégrer toutes les variations ou sautes d’écriture. Elle ne nomme pas cette forme, ou plutôt elle parle de « journal » (p. 12), de « cahier » (p. 98), de « fragment » (p. 77)… De fait, le lecteur retrouve bien le cadre chronologique d’un journal ; les séquences sont datées, et on trouve même mention d’une année repère, page 46 : « L’enfant n’est pas la question du jeudi 15 décembre 2005. Seul le livre. Charnel. Givré de secrets. / Le tenir, ne pas le lâcher quand il sera, oiseau faible, l’habitant de tes paumes nues. » De même, dans la suite du livre, on trouve éparses des notations de durée : « deux ans et demi ont passé » (p. 79), « trois ans déjà » (p. 101), « Bientôt quatre ans » (p. 147)… Dire une durée, c’est déjà tendre un fil narratif pour tout le livre, même s’il ne s’agit pas d’un récit au sens habituel du mot, ou un récit en pointillés, une suite de fragments poétiques qui dessinent au bout une trajectoire de vie. 
Tout le livre repose sur un traumatisme initial, à partir de l’enfant, désiré mais impossible. D’où « l’attente » effectivement comme thème central, et la présence forte du milieu et du vocabulaire médical. Mais le lecteur ne saisit que très progressivement et approximativement cet enjeu comme une sorte de secret, de noyau autour duquel le livre tourne sans le nommer. D’où, également, la présence de sentiments contrastés : il y a le bonheur du couple, mais tout autant la culpabilité, la peur, la fatigue… Cette situation prolongée entraîne une difficulté d’être, une désorientation : « Même cette expérience est sans force, sans contours. / On s’efface, on resurgit, on décline à nouveau, on réapparaît quelques instants dans le soleil, avant de disparaître au fond de la terre. / Même pas la tristesse. / Le mot chagrin est plus juste, plus silencieux aussi. » (p. 43), « Tu ne leur dis pas tous les mots ni ce qu’il faut mesurer d’intérieur. / Les masques non. / Pas tout non plus. / C’est difficile. / Elle pose des questions hésitantes. / On n’avance pas vite. / On n’avance pas. / On ne va nulle part. /Mais on est là. / Et parfois c’est tellement difficile quelques mots simples. / Sur la nappe les quatre verres vides. » (p. 113) Et même  à la fin du livre, lorsque le « personnage » ferme cette période, demeure de l’opaque : « Il te semble que quelque chose s’achève ici, dont tu ignores encore le poids et le sens. »(p. 125) Mais ce qui est remarquable aussi, c’est l’énergie, la lutte contre cette pente de la détresse : « 16 janvier / Il faut passer. Aucune autre issue ailleurs que là. Avec tout l’imparfait de soi-même, tout le mortel, le fiable ténu. » (p. 47) Ou bien, ce mot unique, pour la journée du 18 avril : « Continuer. » Il y a autant d’attente dans cette expérience que d’évolution lente vers une forme de sagesse pauvre, pour ne pas dire de paix.  « On ne peut pas penser ces mots-là.// Peut-être / jamais. » (p. 85) Plus loin : « Comment on fait. //C’est possible. / On vit encore. / On aime encore. / Il y a des livres à écrire/des livres à lire. / Il y a du possible/à se dire là/vivant ici/encore de cette façon. » (p 88) Et plus loin encore : « Peut-être qu’il n’y a pas à savoir l’ensemble des choses à venir. Peut-être qu’il n’y a qu’à avancer encore, avec ce peu de choses qu’on sait, et sans compter les pas chaque fois.  » (p. 96) 
Durant toute cette période, le « cahier » apparaît comme une forme de refuge, l’écriture comme difficile mais repère sûr. « On ouvre le cahier comme si / c’était la toute dernière des tâches, la moins hésitante, la plus bornée. » (p. 98) Ou bien, « tu cherches une paix sur la page. » (p. 26) 
La réussite de ce livre ne tient pas seulement à sa vérité humaine sans pathétique, tout en retenue, litote, pudeur, mais également à ce dispositif très souple d’écriture ou la prose ponctuée, continue ou discontinue, alterne avec des vers libres courts à la fois simples et percutants. « Ce que tu rêves ici prose brève, souffle nu, longtemps filtré, jusqu’au plus clair, au moins évitable. / Malgré ce qui, de fragment en fragment, freine ou relance. / Enchaînements ou ellipses, hoquets, syncopes, et les pauvres chevilles de bois mort par quoi, souvent, tu tentes d’aller contre ce mouvement. » (p. 77) Nous assistons dans ce livre à l’invention d’une forme poético-narrative très efficace parce que la fragmentation permet de dire au plus juste une tension de vivre et le disparate d’exister. 
 
Antoine Emaz 
 

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14 mars 2011 Le Flottoir- Florence Trocmé

somme toujours croissante de la douleur (avec Sereine Berlottier, Chalamov, Appelfeld...)

 

effroi 
effroi considérable de la situation au Japon : séisme + tsunami + accidents nucléaires – remuement de peurs ancestrales, compassion impuissante pour les engloutis, les tremblés de terre, les irradiés, les perdus, les sans nouvelles de – par dizaines, centaines de milliers.  
 
Sereine Berlottier 
entre dans Attente, Partition (Argol, 2011). Très beau début, comme par touches, la situation au bord de l’écriture, la recherche de la phrase, la présence diffuse du  vécu quotidien et cela que je croise avec mes lectures de Qui si je criais... ? : 
« la question est levée au milieu d’un champ de silence. Le champ est étroit et la question craintive, on dirait qu’elle redoute d’être exécutée avant d’avoir pu gagner l’ombre pacifique des arbres. » (16) 
 
l’attente (Sereine Berlottier) 
Par l’écriture dire l’attente, que l’écriture se fasse elle-même attente, quasi matériellement, cela veut dire donne le sentiment d’être au bord de – d’une « révélation » toujours différée notamment, d’un caché, d’un obscur plus simplement, car n’est-ce pas ce que l’on attend, écrivant : mettre au jour de l’insu. En ce sens toute écriture est attente et travail de sourcier. 
→ curieux sentiment : irruption répétée d’un titre de Sereine Berlottier, Nu précipité dans l’escalier, qui me fait penser à Duchamp. Décomposition ici du mouvement de l’attente, de cette oscillation presque imperceptible qu’est l’attente.  
→ songe aussi que la vie à partir de l’instant où elle est, est attente de sa fin. Ce mouvement-là la fait vie.  
 
enfant ? (Sereine Berlottier) 
Petit à petit se fait jour l’idée que l’attente est aussi (peut-être, principalement ? emblématiquement ? ) celle d’un enfant (et je pense à cette rencontre au Marché de la poésie l’an dernier, ce coup de foudre comme il m’arrive quelques fois, pour un tout petit, par l’échange d’un regard, pour cet(te) iris là !  
« habitée/mais aussi succédant » pourrait en tous cas dire cela, la présence de l’enfant qui habite le corps et par cette présence l’inscription dans la chaîne séculaire. , la succession millénaire.  
 
fragments (Sereine Berlottier) 
Tout procède par fragments, comme en un régime d’apparitions disparaissantes. 
Et signe d’une écriture forte (même si ici tout semble si impalpable, si fugace, si fragile !) : les associations fusent à chaque instant, avec d’autres livres, avec des choses vécues, des situations actuelles – ici une évocation du miroir évoque de fortes pages d’Emanuele Coccia dans La Vie sensible, tel autre fragment fait songer à la maladie de l’amie proche.  
→ « C’est tout l’inconnu du chemin à venir qui courbe le front » : exemple parfait de cela, qui résonne à la fois avec l’hypothèse de l’attente d’un enfant et avec la situation de l’amie proche.  
 
journal de lecture 
Ce que je pratique ici, ce serait bien un journal de lecture, une lecture-journal, un journal avec lecture, intrication pour moi naturelle et surtout nécessaire, vitale, de ce que je lis et de ce que je vis.  
 
sentiment presque tactile (Sereine Berlottier) 
Sentiment quasi tactile du presqu’imperceptible, avec des images quasi matérielles, souvent inattendues qui ouvrent quelque chose : « c’est une rumeur lointaine et mystérieuse, plus frêle que le grésillement d’une ampoule à sa dernière heure. » (23) 
 
de quelle attente ? (Sereine Berlottier) 
Il s’agit bien « d’écrire au bord du sens d’être (26) 
« sans faire ni / (un) poids / (deux) l’enfant / (trois) le livre, / (quatre) le nécessaire » (27)  
Sentiment naissant que s’il s’agit bien d’une attente d’enfant, ce n’est pas une grossesse dont il est question mais du désir d’une grossesse. Et que cela chemine avec le livre, le désir du livre, l’impossibilité partielle du livre comme celle de la grossesse. Un différé permanent qui constitue l’attente.  
Tout cela par fragments courts, comme tremblés «  toute la vie écrire durant. Durera aussi longtemps qu’un enfant vivant quand il n’est pas né pense-t-elle. » (37) 
 
« dans quelle pièce en soi » (S. Berlottier) 
« dans quelle pièce en soi 
s’asseoir simplement 
et pleurer » (50) 
→ ce livre a quelque chose de bouleversant, très beau, avec une écriture que l’on ne veut pas dire maîtrisée, tant ce mot est peu approprié. Disons plutôt que c’est une écriture qui se sait, ou se veut, ou se cherche écriture, qui cherche à approcher le silence de la douleur, l’intenable de l’attente (l’enfant, le livre), le « fatum déceptif » (B. Gorrillot) de l’attente et qui y parvient par des moyens simples, par une sorte de biais, écrire, regarder, dire (souvent) à côté, comme pour voir une étoile peu brillante la nuit. Il y a là comme un récit mais non narratif ou linéaire, plutôt une sorte de prisme qui se construit par éclats et dont on s’interroge constamment sur la lumière qui en sort, de l’autre côté de la lecture. C’est une écriture qui construit une sorte de chimère dans l’espace entre le livre et le lecteur et à l’intérieur du lecteur, un peu comme le fantôme de cet enfant, ou de ce livre, tant désirés et qui n’adviennent pas. 

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